Les marchés des produits de l’élevage de ruminants N° 311 Avril 2020 Hebdo 1

Viande ovine

Premiers effets du Covid-19 et du confinement sur la filière viande ovine

En France, les abattages se sont fortement accrus pendant la première semaine de confinement (suivi par Interbev, via la base de données Ovinfos, des plus gros abatteurs français, qui totalisent 75% des abattages nationaux d’agneaux), la semaine 12 (se terminant le 22 mars), sous l’effet d’une anticipation des éleveurs, inquiets de perdre leur débouché à l’approche de Pâques et des autres festivités religieuses qui suivent, à savoir Pessa’h (Pâques juives), la Pâque orthodoxe et le Ramadan. 

Les abattages se sont effondrés la semaine suivante (-44%/ semaine 13 de 2019, selon Interbev via Ovinfos), sous l’effet d’une instabilité de la demande. En comparant la production à la consommation restreinte due au confinement, Interbev estime l’excès d’offre à plus de 100 000 agneaux, sur un effectif d’environ 450 000 abattus au mois de Pâques en moyenne les années précédentes.

 

Engorgement du marché français à l’approche de Pâques

La consommation est en effet prévue nettement inférieure qu’en temps normal en cette période de Pâques, du fait de l’impossibilité pour les familles de se rassembler à l’occasion de ces fêtes. Les problèmes de consommation de viande ovine sont déjà constatés avant même la semaine de Pâques. Le confinement a en effet a engendré la fermeture des restaurants et des cantines, d’où un transfert de l’offre de viande ovine vers la grande distribution et les boucheries. Reste tout de même la restauration institutionnelle (santé, armées, EHPAD, et quelques entreprises) ainsi que les restaurants qui font de la livraison à domicile ou du « take away ». Cette pression supplémentaire sur les GMS y a complexifié la gestion des commandes, face à une consommation imprévisible et au manque de main d’œuvre qui les conduit à simplifier les gammes et la gestion des linéaires. La fermeture fréquente des rayons trad’ (surtout par réaffectation de la main d’œuvre pour la préparation des barquettes) a rendu encore plus complexe la vente de viande d’agneau. Cependant, certaines enseignes semblent rouvrir ces rayons qui inspirent confiance aux clients. La demande en agneaux laitiers s’accroît au détriment des races bouchères, ceux-ci correspondant davantage aux ventes en rayon « libre- service » et en Drive. D’où l’importance de promouvoir des découpes non traditionnelles de pièces comme les gigots, notamment celles mises en exergue par Agneau Presto.

Face à cette offre excédentaire et une consommation morose, le principal risque (auquel nous sommes maintenant confrontés) est un engorgement du marché de la viande ovine, provoquant une chute du cours de l’agneau français. C’est une situation très difficile pour la filière puisque la période de Pâques représente bon an mal an 35 à 50% de la consommation annuelle de viande d’agneau en France! Après des cours haussiers depuis la fin de l’année dernière, la baisse de la demande entraine d’ores et déjà une chute des cours en semaine 13 (fin le 29 mars), bien avant Pâques.

Les sorties étant limitées par cette situation exceptionnelle, les stocks sur pied se constituent en élevages, avec de nombreux reports d’une semaine sur l’autre. Plus de 100 000 agneaux seraient concernés d’ici Pâques, bloqués en ferme. Le report de plusieurs semaines des sorties d’agneaux peut rapidement devenir un problème : ceux-ci risquent de devenir trop lourds et trop gras, voire d’être déclassés de leur appellation d’origine. D’où des pertes de valeur et des surcoûts pour les éleveurs qui ont passé plusieurs mois à préparer leurs agneaux pour l’occasion.

Face à cette situation, les professionnels de la filière en ont appelé à l’Etat, pour trouver des solutions efficaces (stockage privé ou public, exportations de viande ou d’animaux vivants, incitation à mettre les agnelles à la reproduction). La solidarité s’impose et la grande distribution s’engage à promouvoir en premier lieu l’agneau français. Cela pose des difficultés pour certains opérateurs, notamment les importateurs auprès desquels se fournissent les GMS. Ceux-ci ont pour la plupart passé commande depuis longtemps, notamment des gigots d’agneaux néozélandais.

L’export en vif devient ainsi un levier essentiel pour l’équilibre des marchés. Les principaux pays producteurs se démènent pour obtenir des contrats et ainsi pouvoir vendre les agneaux non consommés, dans le but de désengorger leur marché. Les envois vers l’Italie seraient compliqués, principalement à cause d’une pénurie de main d’œuvre. Comme dans tous pays contaminés, le commerce et le transport sont entravés par les règles sanitaires et la pénurie de chauffeurs.

En France, les situations diffèrent selon les zones de production, mais on retrouve des problématiques communes. En effet, les professionnels de nombreuses régions éprouvent de réelles difficultés avec leurs débouchés habituels : problèmes pour écouler les agneaux de lait en Nouvelle-Aquitaine, ramassage  au « compte-gouttes » en Occitanie comme dans le Centre-Ouest. Dans le Nord-Est, une coopérative a signalé que près de la moitié des agneaux n’avaient pas été ramassés la semaine dernière (S13) et la situation va probablement perdurer cette semaine. Dans le sud de la France, les Organisations de Producteurs manquent de places et de chauffeurs collecteurs. Les quelques négociants indépendants sont eux aussi bloqués donc ne ramassent pas, ou sont injoignables. En PACA, après trois jours d’activité très intense au début du confinement (les agneaux se sont vendus très vite), les abattages se sont écroulés les quatre jours suivants : arrêt complet des abattages à l’abattoir de Sisteron pendant deux jours. En S14, soit cette semaine, les commandes ont repris. Dans l’Ouest, où la production est bien inférieure à la consommation, la situation semble moins problématique pour les éleveurs.

Dans certaines régions un élan de solidarité est en train de s’organiser, la grande distribution prenant la décision de congeler une part conséquente des gigots néozélandais reçus, et mettant  parallèlement en avant l’agneau Français, voire régional. Les agneaux sous SIQO sont souvent prioritaires et le débouché semble beaucoup plus compliqué pour les hors Labels.

Malgré ces divergences, tous se demandent comment gérer l’après-Pâques. Le retard cumulé des sorties d’agneaux risque de perturber le marché  français pour plusieurs semaines. Certaines régions, comme le Grand Est et les Hauts de France, étudient par exemple la possibilité de congeler de la viande d’agneau qui serait commercialisée en RHD dans les mois à venir.

A l’approche de Pâques, la France augmente habituellement ses approvisionnements essentiellement en provenance du Pays-Bas, de Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et d’Espagne (cf. graphique ci-dessus), ceux en provenance d’Irlande semblant plus stables (du moins en 2019). Cette année la France, comme probablement de nombreux autres pays affectés par le confinement, va privilégier sa propre production face à une demande intérieure fragilisée.

La situation est aussi très compliquée pour les autres pays producteurs de viande ovine touchés par l’épidémie de coronavirus et particulièrement pour les pays exportateurs, tels que le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Espagne ou encore la Nouvelle-Zélande.

Royaume-Uni : consommation intérieure et demande à l’export baissières

Le Royaume-Uni reste notre principal fournisseur pour Pâques et les autres festivités religieuses qui suivent. Selon AHDB, au 26 mars (durant la semaine 13), les grands et petits abattoirs continuaient de fonctionner. La filière ovine britannique est toutefois impactée, d’une part via la baisse des débouchés à l’export (diminution de la demande française) et d’autre part du fait du confinement de sa population, accompagné d’un arrêt de la fréquentation des restaurants et pubs (même la vente de plats à emporter est désormais proscrite !). Or, ce secteur de la RHD permet en temps normal d’écouler des volumes conséquents de viande d’agneau. Du point de vue de la production britannique, la chronologie de la crise est comparable à celle observée en France : suractivité en semaine 12 (221 300 têtes), puis chute des abattages de moitié en semaine 13, s’expliquant notamment par la fermeture de nombreux marchés à bestiaux (essentiels au R-U : ils permettent de commercialiser près de 50% des agneaux finis et 80% des réformes). Ces évènements ont engendré un effondrement des cours de l’agneau britannique (certains lots n’ont pas reçu d’offre, dans les marchés de gré à gré restés ouverts). Ces bas prix ont aussi découragé certains éleveurs, qui ont préféré conserver leurs bêtes. Au 25 mars, bon nombre de marchés restaient ouverts, mais avec des règles très strictes et l’impossibilité de commercialiser des reproducteurs.

Irlande : baisse de la demande des principaux clients

En Irlande, on note la perte de nombreux contrats avec la disparition temporaire de la RHD et de l’hôtellerie, sur le marché national comme à l’export. De plus, le transport a été ralenti par la pénurie de containers (suite à l’activité économique perturbée en Chine).  En 24h, en début de semaine 13, la tendance jusque-là haussière du cours irlandais s’est inversée, conséquence de l’effondrement de la cotation de l’agneau britannique et de la demande en France. Les ventes sur d’autres marchés d’exportation clés tels que l’Allemagne, la Belgique et les pays scandinaves devraient également diminuer. En l’espace de trois semaines, la cotation irlandaise a perdu 50 centimes (de 6,0 €/kg en S10 à 5,50 €/kg en S13). Le cours de l’agneau irlandais est repassé sous son niveau de l’an passé. Le président de l‘IFA (Irish Farmers Association), Sean Dennehy, a déclaré sa volonté d’obtenir la mise en place d’un système d’intervention de la Commission européenne.

Les autorités irlandaises ont tardivement imposé le confinement de la population (le 27 mars) : les mêmes changements de comportement de consommation (globalement), menant in fine à la baisse de la demande intérieure, vont donc assez vite apparaître en Irlande.

 

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