Face à une production laitière ralentie dans les principaux bassins excédentaires, la demande mondiale reste particulièrement dynamique notamment tirée par la Chine. Ce déséquilibre entraine les prix des principaux ingrédients laitiers à la hausse dans un contexte d’augmentation généralisée des cours mondiaux des matières premières.
Fromages : Fabrications privilégiées
Les tendances de hausse de consommation de fromages à l’échelle mondiale restent d’actualité. Cela pousse les transformateurs à choisir d’orienter davantage l’équation laitière vers les fromages. Dans ce contexte, la production de fromages est en hausse aux USA (+155 000 t sur les neufs premiers mois de l’année/2020) et en Europe (+107 000 t sur la période janvier-août 21 /2020). Sans avoir les chiffres de production en Nouvelle-Zélande, nous pouvons supposer qu’il en est de même au vu de la hausse de +16% des exportations sur les neuf premiers mois de l’année (soit +37 000 t) et de la très forte hausse des prix du cheddar lors de la dernière enchère du Global Dairy Trade qui reviennent au plus haut depuis 2014.
Dans l’UE, la production de fromages est en hausse chez tous les pays membres sauf cinq, tirée par une forte demande intérieure. Néanmoins, selon certains opérateurs, les stocks sont quasiment inexistants. Dans ce contexte, la hausse des prix des fromages européens semble inéluctable sur les prochains mois.
Par ailleurs, la plateforme de marché à terme EEX lance ce mois-ci la publication d’indices de prix pour deux types de cheddar, du gouda et de la mozzarella, ce qui permettra à la filière d’avoir des références de prix transparentes pour ces qualités.
Aux Etats-Unis, la production de fromages au mois de septembre a surpris par son ampleur, il s’agit d’un record mensuel de production pour cette période de l’année. La dynamique export se vérifie, malgré les problèmes logistiques mondiaux, notamment vers les marchés habituels des USA comme le Mexique, le Japon et le Canada. Néanmoins, celle-ci ne suffit pas à absorber la hausse des fabrications et les stocks affichent des niveaux là aussi records pour un mois de septembre. Usuellement, les stocks baissent une fois le pic laitier passé, ce qui n’est pas le cas cette année. Les produits laitiers étant majoritairement consommés en restauration hors-domicile aux Etats-Unis, le covid-19 a peut-être limité le retour des consommateurs dans la restauration collective. Les opérateurs pensent néanmoins que la consommation intérieure devrait rebondir dans les semaines à venir avec les festivités notamment de Thanksgiving.

La publication de ces données de production et de stocks a entrainé à Chicago une baisse des prix du lait Class III (lait à destination de la production de fromages) qui est repassé sous ceux du Class IV (lait à destination de la fabrication du beurre et de la poudre) pour la première fois depuis janvier 2014. La rentabilité de la production de fromages pourrait se détériorer au profit des ingrédients laitiers, ce qui restera à surveiller dans les mois à venir.
Cette hausse de la production de fromages chez les principaux exportateurs dans un contexte de stabilité de la collecte laitière renforce la moindre disponibilité de lait liquide cru vers d’autres filières de transformation, notamment les ingrédients laitiers tels que le beurre et la poudre de lait écrémé.
Ingrédients laitiers : entre moindres fabrications et forte demande
Le beurre et la poudre de lait pâtissent de la moindre croissance de collecte chez les principaux exportateurs mais également de choix de transformation préférentiellement tournés vers les fromages ou la crème.
Le marché de la matière grasse est extrêmement tendu. Chez les principaux pays producteurs européens, il n’y a pas quasiment pas de disponibilité sur le marché spot, ce qui se traduit par une forte hausse des prix. Le cours du beurre a franchi les 4 000 €/t à la fin de l’été et s’affiche dorénavant au-dessus des 5 000 €/t. La hausse de production en Irlande permet à la production européenne de ne baisser que de -1% d’une année sur l’autre sur les huit premiers mois de 2021, mais le manque de beurre se fait fortement sentir sur le marché français et allemand. Il faut dire que les prix de la crème s’apprécient fortement sur le spot et n’incitent pas le barattage.

Aux Etats-Unis, la concurrence est importante pour la matière grasse entre les fromages et la crème qui sont orientés vers le marché domestique. Les opérateurs s’attendent à une accentuation des problèmes logistiques avec la recrudescence des cas de covid-19 en Chine comme ailleurs dans le monde et cherchent donc à privilégier le marché intérieur. Dans ce contexte, les stocks de beurre, records au mois de juin dernier, ont fortement baissé au mois de septembre. Les opérateurs ne s’attendaient pas à une telle consommation en un mois.
Sur la poudre de lait écrémé, en Allemagne, premier producteur européen, les fabrications sont en recul de près de 11% sur les neuf premiers mois de l’année, soit -34 000 t. En France, la baisse est plus modeste (-1,2% et environ 3 000 t). Quant à la Pologne, les fabrications ont reculé de -7% et -9 300 t. Ces pertes ne sont pas compensées par la hausse en Irlande de près de 15% (+16 400 t) et celle des Pays-Bas (+34% et 16 700 t). Ainsi, dans l’UE-27, la production de poudre maigre a baissé de -26 000 tonnes depuis le début de l’année, soit -2,4% sur les huit premiers mois. Les volumes ont principalement chuté en début d’année 2021.
Les exportations européennes de poudre maigre sont demeurées globalement stables sur huit mois, mais avec une forte augmentation des volumes vers la Chine au détriment du marché historique de l’Algérie.
Les fabrications de poudre de lait écrémé devraient également être en baisse en Nouvelle-Zélande au vu de la contraction des exportations sur 9 mois(-8% /2020) combinée à une forte hausse des prix lors de la dernière enchère du GDT (au plus haut depuis sept ans).
Du côté des USA, la production commence à se replier par rapport à l’an dernier (-11 000 t sur janvier-septembre) après un fort démarrage en début d’année 2021. Les Etats-Unis profitent de la moindre présence de l’UE-27, la Nouvelle-Zélande et l’Australie à l’export pour gagner des parts de marchés. Il faut dire que l’origine US reste la moins chère encore pour le moment. Cependant, dans le même temps, la consommation intérieure a baissé et les stocks de de poudre maigre avaient retrouvé en septembre leur niveau de l’an dernier, après avoir fortement baissé depuis le mois d’août. L’excédent laitier découlant du pic saisonnier pourrait donc être en train de disparaitre.
En résumé, la hausse des cours de la poudre de lait écrémé est liée à une moindre offre d’une part et une forte demande, notamment de la Chinedont les importations ont bondi de +34% /2020 à +342 000 t sur neuf mois. Pour le reste de la demande internationale, globalement les principaux importateurs ont réduit leur besoin face à la forte hausse des prix mondiaux. Ceci pourra être un premier frein à la poursuite de la hausse sauf forte dégradation de la production. Le deuxième frein pourrait être la demande chinoise.
Quid de la demande chinoise ?
L’ampleur des importations chinoises de produits laitiers depuis le début de l’année ont une nouvelle fois surpris les opérateurs. Une partie de la hausse des cours actuelle est notamment due à cette forte demande chinoisecar la consommation de l’empire du Milieu cache par ailleurs de moindres velléités d’achats de la part d’autres pays importateurs.

La tendance haussière actuelle est donc en partie soumise aux futurs achats asiatiques. De nombreux signaux alertent sur un possible retrait de la Chine à court terme notamment des chiffres d’imports au mois de septembre moins conséquents qu’attendus.
Par ailleurs, le marché chinois se referme au fur et à mesure que les cas de covid-19 augmentent avec des activités portuaires à l’arrêt.
L’évolution des cours des ingrédients laitiers dépendra donc de l’évolution des flux de produits laitiers vers la Chine et de celle de la collecte de lait chez les principaux exportateurs.