Les transformateurs laitiers sont confrontés à des chaînes alimentaires très bousculées par les effets du confinement des Français : effondrement de la demande en RHD, achats chaotiques des ménages et débouchés au grand export très perturbé et incertain. Du coup, ils s’inquiètent de la vigueur de la collecte printanière.
Une collecte française en croissance
Boostée par des conditions printanières précoces et propices à la production herbagère, la collecte laitière française a enregistré une hausse de +0,7%/2019 sur la 1ère quinzaine de mars, d’après les sondages hebdomadaires de FranceAgriMer. La troisième semaine, aux températures plus fraîche, pourrait ralentir la croissance des prairies et celle de la production.
Cette évolution haussière, en plein pic annuel de la collecte, doit être gérée par les transformateurs, dont l’activité évolue rapidement en pleine crise sanitaire lie au Covid-19. De nombreux transformateurs envoient ainsi des messages de modération à leurs livreurs. Sodiaal a par exemple décidé d’appliquer une pénalité (« saisonnalité ») de 20 €/1 000 litres sur le prix du lait d’avril et mai qui sera restituée sous forme de prime sur les mois d’été. Le Cniel amorce une réflexion pour la mise en place d’un dispositif d’incitation à la limitation de la production sans perte de revenus ni hausse de charge pour les producteurs. Les pistes envisagées vont de l’incitation au tarissement volontaire anticipé à la mono-traite ou une action sur l’alimentation des vaches afin de lisser la production.
Plusieurs syndicats de producteurs, la FNPL en tête, demandent aux Pouvoirs publics d’activer le dispositif d’aide à la réduction volontaire des livraisons par les éleveurs déjà mis en œuvre en 2016 lors de la dernière crise laitière.
Les transformateurs sont en effet confrontés à un double problème : de débouchés d’une part et de maintien de l’activité d’autre part. Le manque de personnel, suite aux arrêts maladie ou pour garde d’enfants, fait craindre une organisation de la collecte plus compliquée e, notamment lors du pic de collecte dans les prochaines semaines, mais également des pénuries de main d’œuvre sur les chaînes de transformation et de conditionnement. Certains opérateurs font état cette semaine de réductions de personnel de -8% dans l’Ouest jusqu’à -30% dans l’Est. En outre quelques laiteries subiraient déjà des ruptures de stocks de certains emballages, qui peuvent les obliger à simplifier leurs gammes.
Des habitudes d’achats bouleversées par le confinement
Les ventes sont également affectées par le confinement des Français qui bouscule les circuits de distribution. Il y a bien évidemment un report de la consommation hors domicile (seule la restauration des secteurs santé et des armées est encore active, alors que les livraisons de repas par les restaurants s’est considérablement restreinte) vers celle des ménages. Ces derniers privilégient les circuits de proximité (supérettes, supermarchés) voire l’achat en ligne aux dépens des hypermarchés, et le drive plutôt que la visite en magasins. Les consommateurs réduisent la variété des produits achetés et privilégient les aliments secs et stockables sur longue période (succès des pâtes), les produits transformés, les fruits et légumes pré-emballés à ceux en vrac. Ils se détournent des rayons à la coupe (charcuterie, fromages…), dont le personnel est en outre souvent requis pour d’autres tâches (drive, réapprovisionnement…).
Les achats de de produits laitiers n’ont pas échappé à ce bouleversement (beurre, crème, laits conditionnés, ultra-frais, voire fromages). La RHD représentant 9% de la consommation nationale de produits laitiers, le report de consommation sera non négligeable. Ce report de consommation devrait bénéficier aux produits laitiers fabriqués en France car la part des produits laitiers importés est plus élevée en RHD (25% en 2017), contre à peine 10% pour les produits achetés par les ménages.
Les ventes de produits laitiers en GMS ont explosé en mars, notamment pour les produits de longue conservation (lait UHT, beurre plaquette, Emmental râpé). En conséquence, les distributeurs commandent prioritairement des produits génériques, délaissent les petites séries, les fromages AOP et les formats dédiés à la coupe. De nombreux magasins ont fermé les rayons à la coupe pour simplifier l’organisation du travail.
Les petites laiteries pénalisées par le report de consommation et les choix de la distribution
Ces choix des distributeurs et des consommateurs ont des conséquences immédiates et graves pour les laiteries et les filières positionnées sur les fromages AOP et les produits premium.
Cette situation met en difficulté de petites laiteries spécialisées sur ces produits et/ou pour la RHD. En outre, elles n’ont pas la souplesse et la marge de manœuvre des grandes entreprises en termes de personnel et de logistique. Quelques-unes ont arrêté leur collecte faute de débouché et certaines ont trouvé un accord pour que leur collecte soit assurée par un grand opérateur. Exceptionnellement, les éleveurs n’ont d’autres choix que de jeter leur lait.
Des exportations freinées
En revanche, les groupes laitiers d’envergure nationale et internationale devraient pouvoir compter un temps sur leur mix-produit varié et leur présence sur tous les marchés, même si les ventes au grand export ont été un temps perturbées par l’arrêt de l’activité en Chine. Celle-ci a en effet réduit les commandes de produits laitiers en février et jusqu’à la mi-mars, avant que les mesures de relâchement du confinement ne permettent à l’activité économique de redémarrer doucement et aux commandes de partir. Le Japon, la Corée, les pays d’Asie du Sud-Est ont également réduit leurs achats depuis février. Cette baisse de la consommation s’est doublée de problèmes de disponibilité de containers maritimes, bloqués dans les ports chinois et dans les bateaux en attente de déchargement.
Mais les problèmes à l’exportation concernent désormais les clients européens. Les contrôles sanitaires aux frontières de certains pays membres de l’Union européenne (Allemagne, Pologne…) ralentissent considérablement les transports de marchandises. Certaines usines chez nos voisins sont fermées, par manque de main d’œuvre, impactant les flux. Par exemple, les exportations de lait vrac vers l’Italie ont fortement chuté. Les laiteries italiennes assurent en priorité la collecte de leurs livreurs. Mais elles ont fermé certains sites et réduit l’activité d’autres faute de personnel et de débouchés et logiquement réduit leurs approvisionnements extérieurs.
Réaction baissière des marchés laitiers
Face à cette réduction des débouchés, la fabrication de poudre maigre, traditionnellement forte à cette période de l’année, serait à un niveau très élevé pour absorber les excédents de lait. Les industriels laitiers européens ont demandé à la Commission européenne d’activer le dispositif d’aide au stockage privé.
Ce déséquilibre offre-demande a provoqué une chute des cours de la poudre maigre qui ont perdu 13% en 3 semaines (-330 €/t à 2 270 €/t en semaine 12), mais restent encore supérieurs à 2019 (+16%). La baisse est également constatée en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis.
Les cours du beurre ont aussi reculé, de plus de 6% en 3 semaines pour la cotation ATLA à 3 270 €/t en semaine 12. Si le cours du beurre se replie aussi aux États-Unis, il résiste plutôt bien en Nouvelle-Zélande du fait de disponibilités limitées en fin de campagne laitière.
Ainsi, malgré une croissance modérée de la collecte globale des principaux pays exportateurs, les marchés des ingrédients laitiers ont fortement réagi aux conséquences du confinement de près de 3 milliards d’individus au 25 mars.
Union européenne : une inertie certaine
L’Allemagne et les Pays-Bas connaissent une collecte pré-printanière ferme. Sur les deux premières semaines de mars, les livraisons de lait progressent de plus de 2% /2019, accélérant la croissance du début de l’année. Tous pays européens confondus, la collecte européenne continue progresser à un rythme modéré entre + 0,5% et +1% /2019 en mars 2020 d’après nos estimations.
En Autriche et dans le Süd-Tyrol (Italie), des coopératives ont demandé en mars à leurs adhérents de freiner la production de lait en limitant l’apport de concentrés. Dans ces pays, la production de lait UHT progresse au détriment d’autres produits.