La volatilité sur les cours internationaux des matières premières s’est amplifiée ces dernières semaines avec la propagation du virus à l’échelle mondiale. En France, le point de vigilance du secteur de l’alimentation animale concerne principalement l’approvisionnement en protéines (prix et disponibilités). La demande en tourteaux pour l’alimentation du troupeau laitier pourrait cependant diminuer.
Céréales : le surstockage de produits à base de blé fait monter les cours
Sur le marché du blé, malgré des fondamentaux porteurs, le développement de l’épidémie en Chine a d’abord conduit à une baisse des prix en février, les opérateurs craignant alors une réduction de la demande. Mi-mars, la tendance s’est rapidement inversée avec l’expansion du Covid-19 à l’Europe, puis à nombreux autres pays. Dans la panique, les consommateurs ont massivement acheté des denrées de première nécessité à base de blé. Les éleveurs ont eu des comportements similaires en surstockant de l’aliment. Les grands importateurs (Algérie, Maroc, Egypte) ont également cherché à sécuriser leurs stocks stratégiques. Ainsi, les prix du blé ont rebondi de 11% en deux semaines.
Depuis, les cours du blé se sont stabilisés en dépit des fortes exportations françaises et de la tension logistique. Les décisions des pays de la mer Noire (Russie, Ukraine, Kazakhstan) de réguler les exports d’ici l’arrivée des prochaines récoltes ont eu peu d’incidence. Il n’y a pas d’emballement de marché comparable à 2007/2008. Cependant, en tant que période critique pour l’élaboration des rendements, le printemps est chaque année une saison de volatilité. Ce phénomène pourrait être exacerbé par le contexte sans précédent du Covid-19.
Les cours du maïs français ont été moins fluctuants que ceux du blé. L’écart de prix entre ces deux céréales a augmenté, favorisant l’incorporation du maïs par les formulateurs de l’alimentation animale. D’autre part, la référence mondiale du maïs (marché de Chicago) a fortement décroché ces dernières semaines, suite à l’effondrement des cours du pétrole. En effet, aux États-Unis, la filière éthanol représente plus du tiers des débouchés du maïs. La baisse de la demande et des marges dans la filière a induit une réduction de l’activité américaine, laissant plus de volumes de maïs disponibles pour l’alimentation du bétail et pour l’exportation. Cela a également pour conséquence de réduire la production des coproduits d’éthanolerie (drèches, DDGS) utilisée en alimentation animale. Cette matière première, qui contient un peu moins de 30% de protéines, devra trouver des substituts.
Tourteaux : forte hausse des prix
Sur le marché français, les prix des tourteaux ont récemment connu une augmentation marquée. Entre début mars et début avril, le tourteau de soja à Montoir s’est renchéri de 27 €/t (+9%), principalement en semaines 12 et 13. L’augmentation du prix du tourteau de colza est un peu plus tardive (semaine 14), et mais également plus forte avec une hausse à Montoir de +41 €/t (+16%) comparé à début mars.
Plusieurs facteurs expliquent la hausse du prix du tourteau de soja. L’augmentation des commandes des éleveurs au moment des annonces du confinement en France a coïncidé avec des perturbations très ponctuelles au Brésil, amplifiant l’angoisse des importateurs internationaux. Pourtant, les flux n’ont pas réellement été impactés puisque, selon les douanes brésiliennes, les exportations de fèves de soja ont été de 11,6 Mt en mars (+36% /2019), un niveau jamais égalé pour ce mois. Les exportations de tourteaux ont également été supérieures à celles de l’an dernier (+11%). La récolte brésilienne de soja, dont les travaux touchent à leur fin, est en effet record (environ 125 Mt). En revanche, de vraies difficultés logistiques sont rapportées en Argentine, premier exportateur mondial de tourteau de soja (droit de retrait des dockers, interdiction du passage des camions par certaines localités). Si une faible proportion des achats français provient d’Argentine (3,5% en 2019), ce pays fournit 40% des approvisionnements de l’Union européenne en tourteau de soja (Comext, 2019). La gestion de l’épidémie en Amérique du Sud, et son impact sur la filière soja, restera donc à surveiller au cours des semaines à venir.
Parallèlement, la baisse du besoin en huile végétale pour le secteur des biodiesels et le manque de graines de colza conduisent à une réduction de l’activité des triturateurs français et européens. OilWorld, cabinet de référence pour l’analyse du marché des huiles, attend ainsi une diminution de l’activité européenne de trituration sur la période avril-juin de -11% /2019. La chute des cours du pétrole a fortement impacté les marges des industriels et le contexte actuel limite la demande en carburant. Par ailleurs, un incendie, survenu mi-mars dans une usine de trituration française (près de Rouen), a déjà entrainé un arrêt de l’atelier d’estérification. En conséquence, la production de tourteau de colza se réduit, conduisant au renchérissement des prix observés récemment.
A court terme, la demande française en tourteau pourrait cependant s’atténuer puisque de nombreux éleveurs disposent des stocks de sécurité récemment constitués. De plus, les éleveurs laitiers sont incités à contenir la collecte laitière de printemps pour limiter les excédents de lait, ce qui pourrait limiter les utilisations de concentrés (focus Lait de vache).