Le CETA conclu entre l’Union européenne et le Canada s’applique provisoirement depuis septembre 2017, au moins pour sa partie commerciale. Cet accord doit encore faire l’objet d’une ratification par dix États membres (Belgique, Bulgarie, Chypre, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Pologne et Slovénie). Avant un éventuel vote à l’Assemblée Nationale, cet article propose de revenir sur les flux de produits de ruminants issus de la mise en œuvre provisoire de l’accord.
Le CETA (ou AECG en français pour accord économique et commercial global) n’entrera définitivement en vigueur qu’après la ratification de tous les États membres. Pour le moment, le Parlement chypriote a refusé la ratification. Et le processus de validation en France se complique. Le projet d’accord a en effet été rejeté par les sénateurs français fin mars dernier, plus de quatre ans après son adoption par l’Assemblée nationale à l’été 2019. Le gouvernement français a choisi à nouveau d’attendre avant de continuer le processus en décidant de ne pas transmettre ce texte à l’Assemblée avant les élections européennes afin d’éviter un nouveau vote négatif.
Mais bénéficiant d’une possibilité de le mettre à l’ordre du jour, les députés communistes pourrait demander un vote de l’Assemblée le 30 mai prochain. Le gouvernement penche cependant pour un vote au mieux en fin d’année. Il pourrait pour cela repousser la transmission du texte à l’Assemblée Nationale.
Des concessions obtenues par l’UE sur les fromages
Dans l’accord, l’UE a obtenu un accès amélioré au marché canadien pour ses fromages. Avant application, l’UE détenait déjà un accès pour 13 472 tonnes sur le total de 20 400 tonnes du contingent tarifaire de fromages avec un droit de douane intra contingentaire de 33,2 CA$/tonne accordé par le Canada dans le cadre de l’OMC. La mise en œuvre provisoire de la partie commerciale du CETA en 2017 a entraîné la réaffectation de 800 tonnes de ce contingent OMC à l’UE et la suppression du droit de douane sur la totalité du volume. Deux nouveaux contingents tarifaires ont également été mis en place progressivement. Un premier de 16 000 tonnes de fromages, principalement affinés et un second de 1 700 tonnes de fromages dits industriels. Ces contingents sont désormais pleinement effectifs. De plus, les concentrés de matières protéiques du lait peuvent entrer à droit nul sur le marché canadien.
Mais les négociateurs européens ont également fait des concessions au Canada sur certains produits agricoles dont notamment la viande bovine. Au total, ce sont plus de 65 000 tonnes équivalent carcasse (téc) à droit de douane nul qui peuvent être désormais importés par les entreprises européennes depuis le Canada.
Les flux de fromages européens à destination du Canada ont progressé, mais pas que…
Depuis l’entrée en vigueur provisoire du CETA le 21 septembre 2017 et l’ouverture progressive des contingents gérés par un système de licences d’importation parfois contraignant, les exportations européennes de fromages ont sensiblement progressé. Entre 2016 et 2023, les envois de fromages depuis l’UE-27 à destination du Canada ont été quasiment multipliés par deux, à plus de 26 600 tonnes (+87% /2016). Même constat pour les expéditions depuis la France qui ont dépassé les 6 500 tonnes en 2023 (+66% /2016), malgré le recul entre 2022 et 2023 (-9%). En moyenne depuis 2020, la France était à l’origine de plus du quart des exportations (26%).
Depuis le début de 2024, les flux semblent avoir cependant légèrement ralenti. Sur le 1er trimestre 2024, 4 600 tonnes de fromages européens ont ainsi été expédiées, en léger retrait par rapport aux années précédentes (-6% /2023, -12% /2022 et -14% /2021).
Les concessions de l’UE sur la viande bovine
En parallèle, d’autres produits de ruminants ont fait l’objet de concessions de la part des négociateurs européens. C’est le cas de la viande bovine. Un contingent de 65 000 téc sans droits de douanes a été octroyé par l’UE à la viande canadienne. Les volumes expédiés restent toutefois limités pour le moment. Après un pic à un peu moins de 2 500 téc en 2019, les volumes importées par l’UE ont oscillé entre 1 500 et 2 000 téc depuis. Les industriels canadiens n’ont exporté que 1 450 téc en 2023 (-25% /2022 et -42% /2019), soit à peine plus de 2% du contingent accordé par l’UE.
En France, les importations de viande canadienne restent à l’étiage, à moins de 100 téc par an depuis 2020. En France comme dans le reste de l’UE, deux facteurs principaux expliquent ces flux limités :
- L’interdiction des hormones de croissance pour les viandes exportées vers l’UE. Or, les deux principaux industriels (l’étasunien Cargill et le brésilien JBS) qui concentrent plus de 85% des abattages canadiens de bovins ne produisent pas de bovins sans hormones pour le moment,
- L’interdiction par l’UE du « douchage » à des fins sanitaires des carcasses à l’acide péroxyacétique (APA). Seul le traitement à l’acide lactique est autorisé par l’UE. Or, l’APA est la molécule très majoritairement utilisée au sein des abattoirs canadiens.
Ce sont plutôt les flux de viandes bovines originaires de l’UE qui se sont développés à destination du Canada. En effet, les droits de douane canadiens ont été supprimés pour ce secteur jugé comme non sensible par les Canadiens.
Un pic de 16 000 téc a été atteint en 2020. Depuis, les envois ont reculé pendant la pandémie de covid puis dans le sillage de la baisse des disponibilités en UE, mais ils se tiennent néanmoins. Outre la disparition des droits de douane, d’autres facteurs expliquent ces flux :
- La demande en viande bovine « sans hormones » est croissante au Canada et dépasse l’offre canadienne.
- La non-distinction des viandes de veau et de gros bovins dans la nomenclature douanière à 8 chiffres (nomenclature combinée à 8 chiffres ou NC8). Or, le veau est produit en Ontario et surtout au Québec dans de petites filières de qualité (sans hormones) avec des coûts de production plus élevés qu’en UE et notamment qu’au Pays-Bas. Plus de 1 500 téc de veau ont ainsi été exportées depuis l’UE vers le Canada en 2023, soit 16% des envois européens.
Ce déséquilibre dans les flux de viande bovines in natura (non transformée) pourrait n’être cependant que transitoire. En effet, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), soutenue par de nombreuses organisations professionnelles canadiennes, a soumis en juin 2022 un dossier à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour évaluer l’utilisation de l’APA. Et les exportateurs canadiens ont conscience de la décapitalisation en UE et lorgnent désormais sur le marché européen à moyen terme. Ils pourraient se tourner vers le « sans hormones » pour répondre à la demande domestique comme à la demande export. Le ministère canadien de l’agriculture (Agriculture et Agroalimentaire Canada) affirme que le gouvernement fédéral « demeure déterminé à accroître la capacité immédiate d’exporter plus de produits de bœuf et de veau admissibles au marché de l’UE afin d’utiliser les contingents tarifaires à court terme ».