En France, la flambée des cours des produits laitiers se répercute lentement sur les tarifs des fournisseurs et les prix au détail, qui progressent moins vite que dans les pays voisins. Heureusement, la revalorisation est plus nette sur les autres débouchés, en particulier sur les ingrédients vendus aux IAA ou exportés (+45% /2021). En avril, la hausse du prix du lait à la production n’avait pas encore été complètement répercutée sur les consommateurs, l’Indice de prix à la consommation des produits laitiers (IPC) n’ayant progressé que de +3% /2021.
Depuis le début de l’année, les exportations diminuent plus fortement que la collecte en équivalent lait.
Consommation en GMS : confirmation des tendances de fond
En France, les ventes de produits laitiers en GMS (avec hard discount) ont repris leur tendance structurelle préalable à la pandémie, dans toutes les catégories de produits. Ce retour à la normale des ventes au détail s’explique par la réouverture de la RHD (restauration hors domicile) qui absorbe à nouveau une part conséquente de la consommation. Depuis que les restaurants ont rouvert en mai 2021, la consommation à domicile a peu à peu retrouvé des niveaux proches de ceux enregistrés avant crise (72% de repas à domicile en 2021, 76% en 2020, 70% en 2019 d’après Kantar).
Le retour progressif à la normale ayant débuté il y a près d’un an, un bilan peut donc être réalisé sur un an glissant : on observe alors que dans chaque famille de produit, la courbe rejoint précisément le prolongement de la tendance préalable à la pandémie.
D’après IRI, sur 12 mois glissants, entre 2013 et 2022, les ventes en GMS ont décliné de -23% en valeur pour les laits conditionnés, de -14% pour les ultra-frais, de -5% pour le beurre, mais ont progressé de +8% pour la crème et les fromages.
Sur le lait liquide, d’après le bilan annuel Kantar sur les produits laitiers, le taux de pénétration est stable, mais la fréquence d’achat s’effrite. Ce sont surtout les laits demi-écrémés qui souffrent (-7% entre 2019 et 2022) ; en revanche, le lait entier, dont l’utilisation est souvent culinaire, progresse (+14%). Enfin, la tendance à la « séniorisation » de la consommation se poursuit.
Pour l’ultra-frais, le diagnostic est approximativement le même, le recul de la consommation émane d’une baisse de la fréquence des achats et donc de la quantité achetée par acheteur et non du taux de pénétration, qui reste stable. Dans cette catégorie de produit, seules les MDD économiques sont épargnées par cette dynamique baissière.
Au contraire, la croissance continue de la consommation de crème s’explique à la fois autant par une progression du taux de pénétration (+0,7 point, de 94,6 à 95,3%) que par celle de la quantité achetée par acheteur (qui est passée de 8,8 kg à 9,4 kg/ an). Cette croissance est surtout portée par la crème UHT.
Enfin, la consommation de fromages poursuit sa croissance chez les ménages français (+4% dans le rayon libre service entre les premiers quadrimestres de 2019 et 2022), en particulier chez les séniors, qui sont déjà la catégorie qui en consomme le plus.
D’après Kantar, cette sur-consommation des séniors représente un levier de croissance important, puisque la population va continuer de vieillir. Là aussi, ce sont les MDD économiques qui tirent leur épingle du jeu (+3 points de pénétration). Toujours d’après Kantar, la croissance est essentiellement liée au développement de l’usage culinaire du fromage, dynamique qui s’est poursuivie en 2021, les « offres cuisines » demeurant très nettement au-dessus de leur niveau de 2019.
hausse poussive des tarifs fournisseurs à la GMS
C’est logiquement auprès de l’industrie que les prix sortis usine se sont le plus appréciés (+45% /2021 en avril), en lien avec la flambée des cours des ingrédients laitiers. La valorisation des produits laitiers à destination de la RHD a aussi fortement progressé (+14% /2021), de même que la valorisation des produits d’export (+15%), qui seraient constitués pour moitié d’ingrédients laitiers, d’après nos estimations.
En revanche, l’indice PVI pour la GMS ne s’était apprécié que de +5% /2021 en avril. L’indice devrait continuer de croître dans les prochains mois. La hausse obtenue par les transformateurs lors des négociations commerciales aurait été lissée, et les négociations se sont rouvertes à la suite de l’invasion russe en Ukraine. Les industriels n’auraient réussi à faire passer des hausses que sur la matière première agricole, et non sur la matière première industrielle.
Ces revalorisations des prix sorties d’usine sont également très hétérogènes selon les produits : de +13% /2021 pour le beurre (dont la valorisation restait nettement supérieure au niveau de 2015), à +5% pour les fromages et les laits liquides, et seulement à +1,5% pour l’ultra-frais.
La hausse des prix n’a pas encore été complètement répercutée sur les consommateurs, puisque l’indice de prix à la consommation (IPC) des produits laitiers n’avait progressé que de +3% /2021 en avril. L’IPC du beurre a crû de +5%, celui des fromages de +4%, celui des ultra-frais de +3,5%, loin de l’inflation alimentaire observée dans le même temps en Allemagne, où les prix au détail ont bondi. D’après le panel Nielsen, relayé par AMI, le prix du lait demi écrémé (au détail) a crû de +9% en un an (à 0,88 € /l en avril), et le beurre de +25% /2021 (7,88 €/kg).
De même, aux Pays-Bas, en semaine 15 (mi-avril), la hausse du prix des fromages (au détail) était de +9% d’un an sur l’autre, celle sur les yaourts de +10% du beurre, et celui du beurre de +18% /2021 (et même de +27% en semaine 21, fin mai).
En France comme dans le reste de l’Europe, l’inflation alimentaire étant généralisée à toutes les catégories de produits, elle ne devrait pas trop affecter les volumes de produits laitiers consommés. En revanche, elle pourrait se traduire par une descente en gamme de la consommation de produits laitiers, les consommateurs arbitrant par exemple en faveur de MDD au détriment des marques nationales.
Diminution des exportations plus forte que la baisse de la collecte
En volume, au premier quadrimestre 2022, les exportations françaises de produits laitiers ont baissé de -5% /2021 (en équivalent lait ), et de -10% en volume total, alors que la collecte a diminué de -2% /2021. Les exportations de fromages (+2% /2021) et de beurre (+7%) ont progressé, au contraire des envois de lait en poudre (-15%) et des autres ingrédients secs (-8%).
Les exportations se sont établies à leur plus bas niveau depuis 2014 (hormis début 2020, au contexte évidemment particulier), en lien avec le manque de disponibilités laitières. Historiquement, le premier quadrimestre constitue pourtant la période de l’année où les exports sont les plus élevés.
Tendance de long terme : baisse des exportations de produits frais, hausse de celles de fromages
Entre le premier quadrimestre 2015 et celui de 2022, la quantité de lait destinée à la production de fromages pour l’export a augmenté de +4%, alors que le volume total de fromages exportés a très légèrement diminué (-1%), sous l’effet d’une évolution dans le mix-produit des fromages exportés. En effet, les exportations de fromages frais ont diminué de -6% /2015, tandis que celles de fromages affinés, plus riches en matière sèche, ont progressé. Les envois de produits frais ont diminué de moitié, en lien notamment avec la chute des exportations de lait liquide vrac vers l’Italie (-45% entre 2015 et 2021), pays qui s’approche de l’autosuffisance laitière depuis la fin des quotas. Sur la même période (2015/2021), l’Espagne a également divisé par 4 ses importations de lait liquide français, pour des raisons similaires de croissance de la production locale, même si le pays reste loin de l’autosuffisance.
La part des fromages dans les exportations s’est donc très nettement accrue, de +6 points entre les premiers quadrimestres 2015 et 2022. A noter que la part des laits en poudre diminue légèrement, au profit de celle des autres ingrédients secs (poudre de lactosérum, caséine…)
Bond en valeur, mais érosion de l’excédent commercial
Malgré ce tassement en volumes, les exportations ont bondi en valeur de +11% d’une année sur l’autre à +2,75 Mrds € au 1er quadrimestre 2022. Dans le même les temps, les importations ont davantage progressé en valeur (+35% à -1,75 Mrd €) sous l’effet d’une forte hausse des volumes importés de beurre (+16%) et d’ingrédients secs (+27%). L’excédent commercial de la France en produits laitiers s’est logiquement dégradé de -14% /2021, à +1 Mrd € au 1er quadrimestre. A l’exception des ingrédients secs, tous les produits laitiers subissent une érosion de leur solde commercial, celui du beurre étant le plus spectaculaire (-195 M€).