Alors que la collecte de l’UE-27 s’était redressée en février, avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les livraisons ont de nouveau sensiblement reculé en mars, dans un contexte de flambée des charges et d’incertitude économique. Pourtant, cette flambée des charges est plus que compensée par la hausse tout aussi spectaculaire du prix du lait, qui continue de s’envoler, dans le sillage du cours des commodités laitières.
En France, la collecte est toujours en retrait
En mars, la collecte française s’est établie à 2,61 Mt, en baisse de -1,2% /2021, soit -27 000 t. Les livraisons demeurent 2,8% en dessous de leur niveau de février 2020. II s’agit du 7ème mois consécutif de repli. Pour le 2ème mois de suite, la collecte a toutefois moins reculé que le cheptel (-1,5% /2021). Le repli est plus prononcé en Matière Sèche Utile (MSU) (-1,8% /2021) en raison de la baisse des taux de MG (42,15 g/l, -0,7% /2021) et de MP (33,58 g/l, -0,5% /2021). Le recul des livraisons concerne l’ensemble des régions, à l’exception des Pays de la Loire (+2%) et du Centre-Val de Loire (+1% /2021).
D’après les sondages hebdomadaires de FranceAgriMer, ce repli des livraisons sur un an se serait accentué en avril (proche de -2 % /2020), malgré une pousse de l’herbe qui était encore excédentaire en cumulé au 20 avril (d’après le bulletin ISOP d’Agreste) dans la quasi-totalité du croissant laitier, le déficit hydrique ayant commencé à impacter sévèrement la pousse de l’herbe fin avril/début mai.
Les éleveurs semblent pourtant réagir à la hausse du prix du lait. En mars, les sorties (réformes) se sont certes stabilisées, mais devraient être reparties à la baisse à partir d’avril, au regard des statistiques extraites de la base Normabev qui rapportent une chute spectaculaire des abattages (-11% /2021 entre les semaines 14 et 19). Cette rétention n’a pour l’instant qu’un faible impact sur le cheptel, car le recul des vêlages de primipares limite son redressement (-5% en mars). Cette baisse des entrées devrait en plus se poursuivre dans les prochains mois, au regard des faibles effectifs de génisses de la catégorie d’âge 24-36 mois, inférieurs de -6% à leur niveau de l’an dernier. Au 1er avril 2022, le cheptel demeurait en baisse de -1,5% par rapport à son niveau de l’an dernier.
Ce report des réformes renforce la tendance (légère) au vieillissement du cheptel français, visible depuis quelques années, qui se matérialise par une proportion plus importante de vaches de plus de 72 mois (passée de 24 à 26%). Les effectifs de vaches de plus de 6 ans sont stables depuis 2019 pendant que ceux des 36 à 72 mois ont dans le même temps diminué de -9% /2019.
Flambée des charges accélérée par la guerre en Ukraine, mais compensée par la hausse des produits
En mars, le prix du lait standard (toutes qualités) a gagné +10 € d’un mois sur l’autre, dépassant pour la première fois la barre des 400 € (407 €/1 000 l). Il culmine +64 € au-dessus de son niveau de l’an dernier à pareille époque, soit une hausse de +19%. Le prix réel s’établit à 434 €/1 000 l (421 €/1 000l pour le seul lait conventionnel). Cette progression du prix se serait poursuivie en avril (entre +5 € et +10 € d’après l’observatoire des prix de l’Éleveur laitier), et ce malgré la demande par certains transformateurs que la hausse de leurs coûts de séchage soit prise en compte pour la valorisation beurre/poudre, ce qui a parfois conduit à l’intégration d’une valeur rabotée de l’indicateur.
Alors qu’il atteignait déjà des niveaux records en février, l’indice général IPAMPA lait de vache a logiquement crû plus rapidement en mars, à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine le 26 février. Il a bondi de 7 points d’un mois sur l’autre, s’établissant à 131,5 points en mars (+19% /2021). C’est le poste engrais et lubrifiants qui a connu la hausse la plus spectaculaire (+13% sur un mois et +100% sur un an). Le prix des énergies et lubrifiants a également bondi de +57%, en raison de la flambée du coût du carburant (+24% sur un mois, +107% / 2021). Bien que moins spectaculaire (+21% / 2021), la hausse du prix de l’aliment est celle qui pèse le plus sur le compte des exploitations, expliquant à elle seule près du tiers de la hausse de l’indice IPAMPA.
Si les cours de l’aliment, des engrais et de l’énergie se sont depuis légèrement détendus, l’indice IPAMPA aurait poursuivi sa progression en avril, le temps que les fournisseurs répercutent les hausses auxquelles ils sont confrontés.
La MILC se maintient en mars d’un mois sur l’autre
D’après l’indicateur MILC, resté stable entre février et mars, la flambée des charges de +20 €, à 381 €/1 000 l aurait été compensée par la hausse des prix du lait (+13€), et celle du prix de ventes des réformes (+7€).
En mars, la MILC se situait sensiblement au-dessus de son niveau de l’an dernier à pareille époque (+29 €/1 000 l, sachant qu’elle avait atteint un point bas en mars 2021) : la hausse du prix du lait (+71 € /2021 en prix réel) combinée à la progression des cotations des vaches O et P (pour environ +20 € /1 000 l) excède l’envolée des charges (+62 € /2021) sur la même période. Rappelons toutefois qu’il existe de très fortes disparités entre les prix payés par les différents opérateurs (près de 90 € entre le prix le plus haut et le plus bas en avril d’après l’observatoire des prix de la revue l’Éleveur laitier).
Dans l’UE-27, rechute de la collecte en mars…
Dans l’UE, l’accélération de la flambée des charges liée à la guerre en Ukraine s’est traduite par une rechute de la collecte en mars (-1% /2021, soit -125 000 t), qui s’était pourtant redressée en février (+0,5%). Les livraisons ont poursuivi leur recul dans les grands pays producteurs (-1,2% en France, -2,1% en Allemagne, -2,5% aux Pays-Bas), mais ont également baissé dans des pays auparavant en croissance, comme l’Irlande (-3% /2021) et l’Espagne (-1,5%) où la collecte avait été perturbée par une grève des transporteurs.
En mars, d’après le MMO, le prix du lait en UE-27 a de nouveau progressé de +2%, pour atteindre 435 €/t (+24% /2021), un nouveau record. Selon les premières estimations, il aurait poursuivi sa progression au même rythme en avril (+2% à 445 € /t). Cette progression est bien-sûr liée à la flambée de la valorisation du lait transformé en beurre/poudre maigre qui a atteint 608 €/1 000 l en avril sur le marché européen. Le prix s’envole particulièrement dans les pays exportateurs de commodités. Il culmine à 439 €/t en Allemagne (+35% /2021), 465 €/t aux Pays-Bas (+32%) et 462 €/t au Danemark (+30%).
En Irlande, croissance stoppée malgré des signaux au vert
En Irlande, après une croissance ininterrompue depuis plusieurs années (+62% depuis 2013), la collecte a marqué le pas début 2022, et a même reculé en mars de -3% /2021. Certes elle avait été exceptionnellement haute l’an dernier à pareille époque (+11% /2020), mais ce recul est surprenant car le cheptel continue de s’étoffer (+1,5% /2021 d’après Teagasc), et le rythme de pousse de l’herbe s’inscrit dans la moyenne. Ce repli de la collecte s’expliquerait donc par une baisse de la productivité laitière. Pourtant le prix du lait payé aux livreurs semble plus incitatif que jamais. Il a dépassé pour la première fois la barre des 500 €/1 000 l (504 €/1 000 l en mars). Sa hausse surcompense allègrement celle des charges selon Teagasc (estimée à +30% /2020). Néanmoins, les éleveurs se montreraient particulièrement prudents dans l’achat et l’utilisation des intrants, aliments concentrés et engrais, faute de visibilité sur les évolutions de la conjoncture.